Chapitre 8
Quel est ton secret, petite Sœur ?
Dans le second volet de notre triptyque, nous allons découvrir que, pour notre bienheureuse, le rôle de la Vierge Marie dans l’enfance spirituelle est central. Voyons d’abord la manière dont notre chère sœur en parle, puis la manière dont elle l’a vécu.
Le poème que nous avons cité à bien des reprises est éloquent pour illustrer l’aide active de la Vierge Marie.
Elle est présente à chaque strophe, telle une maman qui veille sur son enfant et le protège de tout mal, telle une mère qui apprend à son petit à marcher, telle encore une tendre maman qui le porte dans ses bras. Il y aurait sans nul doute de grands approfondissements à faire sur les différentes actions de la Vierge Marie envers nos âmes si elles sont confiantes. Nous nous limiterons à résumer l’essentiel : Notre-Dame est là pour « garder du mal » son enfant (SEJ 68, Strophe 1), « guider chacun de ses pas » (SEJ 68, Strophe 2), « lui rendre tout facile » (SEJ 68, Strophe 3), lui être un « appui » (SEJ 68, Strophe 4), « lui montrer ce qu’il doit savoir » (SEJ 68, Strophe 5), recevoir « son amour plus doux que le miel » (SEJ 68, Strophe 6).
Ainsi la bienheureuse Eugénie s’enthousiasme -t-elle envers Celle qu’elle appelle sa « Mère du Ciel » : « Aimer Marie, l’aimer encore, l’aimer toujours davantage ! Je l’aime parce que je l’aime ; je l’aime parce qu’Elle est ma Mère ! Je l’aime parce qu’Elle est toute belle, toute pure ; je l’aime et je veux que chacun des battements de mon cœur lui dise : Ma Mère Immaculée, vous savez bien que je vous aime ! » (SEJ Pages 8-9)
Dans ses notes intimes, la même pensée revient fréquemment : « O Marie, vous seule êtes ma lumière, ma force, mon refuge ; jamais, non jamais je n’oublierai ce que vous faites pour votre enfant. » (SEJ Page 9)
A plusieurs reprises, notre bienheureuse nous fait également découvrir le rôle de la Vierge Marie dans la souffrance et spécialement les conditions qui permettent à Notre-Dame de nous aider à suivre ce rude chemin :
« l’Immaculée est, en effet, la Reine des martyrs ; oh ! qu’Elle est belle, parée, comme son Fils, de ce vêtement précieux ! Mais, devenue notre Mère en cette heure douloureuse, Marie a façonné Elle-même pour chacun de ses enfants ce double vêtement… (pureté et amour). Elle me couvrira Elle-même des livrées de Notre-Seigneur, des siennes, dans la mesure où je serai petite, où je me laisserai faire comme un tout petit enfant. »
(SEJ Page 43)
La sainte Vierge nous guide dans le quotidien :
« Lorsque quelque chose me contrarie penser à la conduite qu’aurait eu la très Sainte Vierge dans cette occasion. Qu’aurait-Elle fait ? Qu’aurait-Elle répondu à ma place ? »
(Carnet 36)
La bienheureuse Eugénie montre le rôle de Marie dans notre chemin de sanctification : elle qui se sent si petite, si incapable de gravir ce rude sentier, nous partage sa découverte pleine d’espérance :
« Du plus profond de mon néant, pour arriver à la sainteté que Dieu veut me faire entrevoir pendant cette retraite je me jette dès à présent dans le Cœur Immaculé de ma Mère car, là, où va une mère, là aussi va son tout petit enfant ; un tout petit enfant qui ne sait pas encore marcher aurait-il la pensée de gravir seul des roches escarpées, une haute montagne ?… Et cependant il peut monter encore plus haut, mais il n’est pas seul : il est porté dans les bras, sur le sein, sur le cœur de sa mère. Là, il n’a aucune crainte de ne pas arriver au but ou de tomber en chemin ; il n’a seulement pas ces idées-là, pourquoi ? Parce qu’il ne voit que le cœur, l’amour de sa mère. Ainsi en sera-t-il pour moi durant cette retraite. Le Bon Dieu veut, avec la grâce qu’Il va me prodiguer, me conduire à un sommet bien élevé ; celui de la perfection, de la sainteté. Il veut m’y mener pour que j’y demeure tous les jours de ma vie, mais, pauvre petit ver de terre, comment gravir cette montagne de la sainteté ?… Ah ! Je le sais bien ! J’ai une mère et je suis l’enfant de ses douleurs, comment pourra-t-Elle ne pas me porter dans les entrailles de sa miséricorde et me faire arriver ainsi dans le Cœur de Jésus ?
Marie, Elle est ma Mère ! »
(Carnet 35)
Alors grande est sa confiance !
« Toutes les grâces me sont venues par Marie, disait-elle plus tard ; c’est à Elle que je dois tout. »
Mais en lisant ces passages, certains vont peut-être voir là une exagération ? Peut-être même certains vont-ils s’inquiéter : une enfance spirituelle envers Marie ne se place-t’elle pas en parallèle de l’enfance spirituelle envers notre Dieu ? L’une ne fait-elle pas alors ombrage à l’autre ?
Nous serons vite rassurés par de grands saints tel Saint Louis-Marie Grignion de Montfort, qui répète à qui veut bien l’écouter : « Tout à Jésus par Marie », et à sa suite Saint Jean-Paul II : « Totus tuus ». Eugénie, alors qu’elle n’avait que 11 ans, écrit à sa jeune sœur Antonia une phrase lumineuse pour bien comprendre l’enfance spirituelle mariale : « Le secret pour rester enfant du Bon Dieu est de rester enfant de la Sainte Vierge. » (JVPJ Page 8)
Parler de « secret » révèle qu’être, ou plus encore « rester enfant du Bon Dieu » n’est pas chose facile et qu’un itinéraire est à trouver. Eugénie encore enfant découvre qu’être « enfant de la Sainte Vierge » est le chemin sûr pour atteindre notre objectif de « rester enfant du Bon Dieu ».
Devenue religieuse elle écrit : « Aimer de plus en plus la Très Sainte Vierge ; l’aimer autant que je veux ; me rassasier sans crainte dans cet amour. Tourner vers Elle tout ce qui est tendre dans mon cœur ; tout ce qui dit : encore plus d’amour ; en un mot la soif d’amour dont mon cœur a besoin. Jamais je n’aimerai trop la Très Sainte Vierge, et souvent je penserai que plus je l’aimerai, plus aussi j’aimerai Notre-Seigneur. C’est par Marie qu’Il veut se donner à moi ; donc plus je serai l’enfant de sa Mère, plus je serai aussi son enfant, son épouse. » (Carnet 32)
Ainsi elle rassure les inquiets : loin de proposer deux chemins parallèles qui se nuiraient, elle nous fait comprendre que les bras de Marie nous conduisent vers le Cœur de notre Dieu ! Ainsi à la fin d’une retraite, elle écrit : « C’est vous ma Mère qui m’aiderez, qui m’apprendrez à vous aimer et qui me ferez pénétrer dans le Cœur de Jésus » (Carnet 36)
Après avoir vu comment la bienheureuse Eugénie parle de l’enfance spirituelle à l’école de Marie, nous proposons de voir comment elle l’a vécue. Nous nous contenterons de citer seulement certains évènements parmi d’autres, car cette relation d’enfant à Marie demanderait un exposé à lui seul !
Notre Dame se penche sur son berceau :
« Elle était là le 11 Février 1876, bénissant à la toute première heure du jour la petite enfant qui faisait son entrée dans la vie, au dix-huitième anniversaire de l’apparition de Lourdes. Cette coïncidence providentielle ne semblait-elle pas promettre à la journée de votre vie une manifestation ininterrompue des grâces et de l’amour de l’Immaculée Conception ? »
(SEJ Page 56, extrait d’une lettre que lui écrit sa sœur Marie pour ses vingt-et-un ans)
Cette fillette, pour qui le chapelet est la prière préférée, entre dans l’association des Enfants de Marie, association demandée par la Vierge Marie Elle-même à Sainte Catherine Labouré, lors de son apparition de 1830 à la rue du Bac.
Joachim Bouflet, dans son livre « Une force d’âme », relate qu’Eugénie fut élue présidente des Enfants de Marie, non par vote secret comme cela se faisait à l’ordinaire, mais par une sorte d’ovation. Ce témoignage révèle que pour ses camarades, ce n’était pas la peine de voter : il était évident qu’Eugénie devait être présidente. Il ne fait donc aucun doute que son amour d’enfant pour la Sainte Vierge était connu et estimé par les autres adolescentes.
Revenons au 8 Septembre 1897, où Sœur Eugénie est admise à prononcer ses Vœux en la fête de la Nativité de la Très Sainte Vierge. Nous nous rappelons que l’Évangile choisi était celui qui invite à devenir semblables à de petits enfants. Mais pour le commenter, le Père Rabussier répéta les mots du divin Maître en proposant Marie enfant comme modèle : « Si vous ne devenez semblable à cette petite enfant, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. » (SEJ Page 73)
Il ajouta : « Si je suis le petit enfant évangélique, j’ai un asile toujours ouvert, un refuge assuré dans les bras et sur le Cœur de ma céleste Mère. Là, j’oublie toute inquiétude, j’aime et je me confie comme l’enfant se reposant sur le sein maternel. Une fois dans les bras de sa mère, le petit enfant est en assurance ; il ne se dit pas : Si j’allais tomber ! Comment ferai-je pour marcher, pour me procurer ma nourriture ? Non, il regarde dans les yeux de sa mère, il marche quand elle marche, il est nourri en son cœur. » (SEJ Page 75)
L’itinéraire pour aller vers le Royaume des Cieux était tout tracé pour Sœur Eugénie : être petite enfant de Bon Dieu comme la Vierge Marie le fut Elle-même.
Enfin, partageons le témoignage d’une de sœurs sur ses derniers moments :
« Notre chère Sœur Eugénie s’éteint doucement comme un petit agneau sur sa croix, entre la Santa Bambina –petites statuettes représentant « Maria Bambina » (Marie Enfant) ou sous différentes variantes : « Santa Bambina » (Sainte Enfant)– et le petit Enfant Jésus, qu’elle tient toujours par la main. Je m’arrache avec effort d’auprès de ce lit où tout parle de paix, de foi, de prière, de confiance et d’amour. C’est vraiment la bienheureuse mort du tout petit enfant de la Sainte Famille du Sacré-Cœur. » …
« Comment faudra-t-il que je meure ? demandait-elle naïvement.
— Comme un petit enfant qui se laisse emporter dans les bras de sa mère » lui répondit la Supérieure.
« Quand je serai là-haut je demanderai à la Très Sainte Vierge et à notre Vénéré Père, pour chacune de mes Sœurs, le don d’enfance évangélique et un immense amour pour la Très Sainte Vierge. »
(SEJ Pages 270 271)
A la lumière de tout ce que nous venons de lire, peut-être pourrions-nous comparer notre vie à un rosaire composé de mystères joyeux, douloureux et glorieux ?
Ce qui serait le fil unissant les mystères de notre vie de la naissance à la mort serait, pour notre bienheureuse Eugénie, cette relation toute filiale à la Vierge Marie, chemin d’enfance évangélique.
Rendez-vous en novembre un nouveau chapitre …
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Programme complet de la célébration
du 30ème anniversaire de la béatification de Soeur Eugénie Joubert
du 15 au 24 novembre 2024 à Yssingeaux
Article paru dans le magazine l’épervier de novembre 2023